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Aung San Suu Kyi : 

Antoinette Fouque - Aung san Suu KyiPrix Nobel de la paix

Durant toutes nos années de lutte pour la démocratie, nous avons été fortifiés dans notre combat par des femmes du monde entier, des femmes engagées dans la défense non seulement des droits des femmes mais aussi des droits humains, de la paix et d’un monde meilleur et plus heureux. Antoinette Fouque a été l’une de ces femmes : courageuse, intelligente, chaleureuse, énergique et entreprenante.

Il est difficile de croire qu’elle n’est plus à nos côtés pour continuer à nous accompagner sur le chemin qu’elle a tracé avec tant de vaillance. Sa force d’âme et son œuvre resteront toujours présentes.

Édith Cresson : 

Edith-Cresson-hommage-minAncienne Première ministre

Nous avons donc traversé des décennies extrêmement difficiles, très âpres, des combats absolument terribles, mais qui ont quand même abouti dans certains domaines importants à des droits nouveaux, aujourd’hui incontestables et incontestés. Je pense à la contraception, au droit à l’avortement… (…)

Antoinette Fouque a été à la tête de ce mouvement. Elle s’y est engagée corps et âme, avec un courage extraordinaire, et je voudrais d’abord saluer ce courage. (…)

C’est l’exemple du courage qui permet d’entraîner l’opinion, et c’est l’exemple vivant de courage qui lui a permis d’impulser ce mouvement de libération auquel beaucoup aspiraient, mais que toutes n’étaient pas en mesure de promouvoir avec autant de force, de rigueur, de détermination. Elle semblait dire en permanence, plus que par des mots : « Les problèmes que je peux avoir ne m’empêcheront absolument pas de faire ce qu’il faut pour que les droits des femmes avancent, parce que je crois à cette cause et m’y engage totalement. » Cette attitude lui a valu l’affection, l’amitié, la complicité de beaucoup de gens et pas seulement de femmes mais aussi d’hommes, il faut bien le remarquer.

Alain Touraine

Antoinette-Fouque-avec-Alain-Touraine-hommage-minSociologue

… Je n’accepte pas de rester à l’intérieur d’une conception des femmes qui ne fait d’elles que des victimes, qui les rend incapables de se transformer en actrices de la transformation de leur condition, de celle des hommes et de toute la société. C’est Antoinette Fouque, plus que toute autre, qui a conçu les femmes comme créatrices et transformatrices. Sans elle, il n’y aurait pas de mouvement des femmes possible. (…)

Il n’y a pas d’autre pensée libératrice pour les femmes que celle qui affirme non leur égalité mais leur différence, qui fait d’elles les acteurs principaux de notre monde qui ne peut pas se transformer s’il ne commence pas par reconnaître que nous devons entrer tous, hommes et femmes, dans un monde d’êtres complets, enfantant et travaillant, créant et combattant. (…)

Et je terminerai sur ce que j’admirais en elle, à titre personnel cette fois : elle était fondamentalement et principalement une intellectuelle, mais elle était aussi une femme concrète – elle était une Marseillaise concrète ! Elle était hic et nunc, elle n’était pas en l’air. C’est ce qui fait d’ailleurs qu’un homme ne peut pas parler de ces choses-là aussi bien que les femmes, parce qu’il faut l’être pour en parler plus complètement. C’est à Antoinette Fouque que j’estime devoir le peu que j’ai pu faire de chemin, de réflexion, sur l’importance essentielle, centrale, du rôle des femmes. Il faut garder d’elle cette leçon : on ne peut pas aujourd’hui penser les problèmes de la société sans y incorporer comme un fondement (il n’y a pas que ça), une remise en cause (loin d’être faite suffisamment) des inégalités entre hommes et femmes, ce qu’elles signifient et ce que signifie une égalité qui ne peut être, en même temps, qu’une différence.

Nicole Ameline : 

Nicole-Ameline-hommage-minPrésidente du Comité
 des Nations unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw)
 et ancienne ministre de la Parité
 et de l’Égalité professionnelle

Antoinette Fouque a marqué l’histoire et, plus encore, je crois pouvoir dire qu’elle a fait l’histoire. Celle des femmes, dont sa pensée révolutionnaire a tracé la destinée ; celle de l’égalité, ce principe dont elle a fait non seulement une réponse à toutes les violences, à toutes les discriminations, mais bien l’ADN, l’élément constituant, d’un monde plus juste, d’un monde meilleur, d’un monde plus respectueux des différences. Et celle de l’humanité.

Penser à Antoinette Fouque, c’est penser à toutes les femmes, à toutes les combattantes, qui se battent pour leurs droits et qui le font souvent de toutes leurs forces et au prix de leur propre vie, ce qui arrive trop souvent encore aujourd’hui dans le monde. Antoinette nous laisse beaucoup plus qu’un héritage, elle nous laisse un exemple. Elle nous laisse beaucoup plus qu’une action, qu’une pensée, elle nous laisse des valeurs, profondes, inspirantes, qui vont continuer à changer le monde. (…)

Je n’oublierai rien, ni d’elle ni de son engagement, dont elle a fait probablement le plus beau mot de la langue française. Non seulement je n’oublierai rien, mais je porterai, totalement et entièrement, l’esprit qu’elle a su donner à cet engagement. Nous continuerons à nous battre ensemble, côte à côte, pour faire en sorte que les femmes puissent voir d’une manière plus concrète encore, plus effective, l’égalité en action.

Delphine Batho : 

Delphine-Batho-hommage-minAncienne ministre de l’Écologie, députée

Le mouvement des femmes est l’un des moteurs de mon engagement politique et je n’oublierai jamais la bienveillance attentive d’Antoinette Fouque envers ce que nous essayons de faire, nous les femmes, dans la vie politique française. Je n’oublierai jamais le mot qu’elle m’a envoyé quand j’ai été limogée du gouvernement: «Je n’ai aucun pouvoir, mais tu peux compter sur moi, sur nous », m’a-t-elle écrit, et cela m’a fait du bien.

Les idées ne meurent jamais. Antoinette Fouque et toutes les autres nous ont appris que le combat ne se situe pas seulement dans la revendication, dans les mesures et dans les réformes, mais que pour réussir à faire changer les choses, il faut se déployer dans un mouvement culturel plus global, «tracer des voies positives », comme elle disait.

Sonia Rykiel : 

Sonia-Rykiel-hommage-minCréatrice de mode

Ma chère, très très chère Antoinette.
C’est ton histoire,
c’est mon histoire,
c’est notre histoire,
c’est l’histoire de toutes les femmes.
Et elle est en marche, et elle ne s’arrêtera pas.
Et elle est éternelle.
Et c’est cela qui compte, n’est-ce pas…
Je t’embrasse, et je sais que tu le sais, très tendrement… Sonia.

 

 

Isabelle Huppert 

Isabelle-Huppert-hommage-minActrice

Avant, j’avais beaucoup entendu parler d’elle par Chantal Akerman; il y a bien longtemps, elle parlait toujours d’Antoinette, Antoinette. À l’époque, je ne savais pas qui était Antoinette. Puis, des années plus tard, j’ai rencontré Antoinette Fouque que j’avais sollicitée pour un entretien dans un numéro des Cahiers du cinéma. Elle avait répondu très gentiment. Nous avons parlé pendant très longtemps. Je crois qu’elle aimait bien les actrices. Elle aimait bien les metteurs en scène, tous les gens qui essayaient de s’exprimer d’une manière ou d’une autre, et certainement aussi tous ceux qui n’y arrivaient pas. J’avais été non pas fascinée mais passionnée par sa manière de définir, au cours de cet entretien, la psyché de l’actrice, cet état entre conscience et inconscience, cet état où les choses ne se formulent pas facilement puis se précisent. Un état qu’elle situait dans un espace à la fois confus et précis, juste avant l’inconscient et juste avant la parole, là où elle situait – justement, aussi – ce qu’était une actrice ; quelque chose de l’ordre du ressenti, une compréhension qui ne passait pas forcément par les mots… une forme d’intuition, mais elle la décrivait d’une manière assez scientifique. Cela m’avait intéressée, cette perception qu’elle avait de l’état d’actrice, entre conscience et inconscience, dans une zone située juste avant la pensée, je crois.

C’est comme ça que notre rencontre avait commencé. Avec aussi, évidemment, le parallèle avec la maternité, disons la célébration de la maternité, et une forme de création. C’étaient des sujets dont nous avons parlé la première fois où nous nous sommes rencontrées.

Pierre Nora

Pierre-Nora-hommage-minHistorien

Je 
souhaiterais en quelques mots apporter [à Antoinette Fouque], le témoignage de mon estime profonde et de mon amitié, une amitié qui tient un peu du miracle, parce que nous n’avions a priori rien qui puisse d’évidence nous rapprocher.

L’occasion de ce rapprochement a été, dans Le Débat, en 1988, un petit dictionnaire des illustres inconnus et inconnus illustres; nous avions demandé à Madeleine Chapsal de brosser le portrait d’Antoinette Fouque. Ce portrait avait eu l’heur de lui plaire. Elle nous a fait signe. Notre rencontre a abouti à un premier entretien dans Le Débat, « Femmes en mouvements » (numéro 59, 1990) suivi de plusieurs autres. Elle a surtout abouti à ce livre qui est devenu un classique de la féminologie : Il y a deux sexes, qui a connu deux éditions, en 1995 et en 2004. (…) Dès le départ, j’ai été séduit par l’ouverture d’esprit d’Antoinette Fouque, par sa maîtrise à dominer les handicaps, par son courage et par sa créativité. Elle en a donné encore un témoignage éclatant avec la réalisation de ce Dictionnaire universel des créatrices, qu’elle aura eu la joie de voir paraître avant de disparaître elle-même.

Roger Dadoun

Roger-Dadoun-hommage-minPsychanalyste

L’œuvre d’A. F. (…) procède par réparties cursives et claires aux questions issues autant des nombreux interlocuteurs qu’elle accueille que d’événements et incidences diverses. Elle revient sans cesse à la charge, élevant chaque fois d’un cran sa vision anthropologique – anthropocul- trice – de la femme. Elle se déploie selon ce rythme à trois temps : Il y a 2 sexes, essais de féminologie 1989-1995, 1995 ; Gravidanza, Féminologie II, 2007 ; Génésique Féminologie III, 2012. S’enlacent, chez elle, en double hélice, ordre de l’écriture (écrivaine) et ordre du mouvement (femme politique). On lui doit l’envergure plein cri des trois initiales du MLF, Mouvement de libération des femmes, impératif catégorique, universel, du statut, de l’être même de la femme: la femme accède et nous fait accéder à la liberté humaine en prenant le risque («beau risque» socratique autant que «pronostic vital») d’instituer sa liberté («destin» biologique pris dans l’entrelacs du politique) de femme procréatrice-créatrice du vivant. À cette visée libératrice contribue la fondation de l’Alliance des femmes pour la démocratie, autre formulation triplice où il convient de retrouver à la fois la puissance biblique légendaire de l’Alliance et la nécessité concrète d’une démocratie régénérée par l’Alliance des femmes – Alliance s’exerçant sur une terre pleinement et fermement humaine et défiant les « organisations » partisanes, communautaires, totalitaires, mortifères, politiciennes.

Acte crucial de libido creandi, Psych et Po. signe à la fois l’entrée de la femme dans le politique et met à nu le nerf le plus vif de la psychanalyse.

Odile Leclaire

Odile-Leclaire-hommage-minFille du psychanalyste Serge Leclaire, Chargée de mission Emploi,

Il me souvient, Antoinette, que Serge vous aimait d’une irrésistible amitié. Tout chez vous le réjouissait, le mettait en joie : votre Sud, votre lumière, la musique de votre langue, votre tribu – splendide –, la célérité de votre pensée et vos conversations, dont il sortait fourbu mais riche à chaque fois d’un projet ou d’un texte en devenir. L’amitié qu’il vous portait laissait affleurer quelque chose de nouveau, un je-ne-sais-quoi de jubilatoire qui le rendait disert, lui d’habitude si taiseux. Lorsqu’il était question de vous, on sentait poindre comme une émulation qui le mettait de fort bonne humeur et rejaillissait sur nous. Vous étiez entrée dans la vie de Serge mais aussi, et sans l’avoir su, dans la nôtre.

Serge s’aventurait avec vous en des terres inconnues où les lacs, les collines et les rivières restent à nommer. Votre amitié semblait laisser la voie ouverte à l’imagination; elle était empreinte de cette poésie particulière des rencontres où chacun se risque, sans carte, au pays de l’autre, dans l’intuition de sa géographie et de sa langue. Je croyais percevoir qu’elle infléchissait en douceur et comme d’évidence la courbe de son cheminement d’analyste. Ce père dont l’adolescente profane que j’étais regrettait secrètement qu’il exerçât un métier de fauteuil, de divan, d’alcôve et de murmures, s’essayait donc avec vous, et peut-être grâce à vous, à l’écoute de la cité, de sa rumeur, de sa polyphonie, ce champ polyphonique, ce verbe de la polis, s’invitait-il sur le divan, du moins résonnait-il désormais aux murs de notre maisonnée.

Marcel Gauchet

Marcel-Gauchet-hommage-minPhilosophe

Antoinette Fouque nous laisse un inou
bliable exemple de la vertu la plus rare 
qui soit au sein de notre monde qui se croit « libertaire » : l’indépendance d’esprit, la liberté de jugement.
Il en fallait beaucoup dans la cohorte des grandes gueules soixante-huitardes pour affronter le dogmatisme machiste de ces militants si sûrs de leur science. Il n’en fallait pas moins pour échapper à la séduction autoritaire d’un Lacan en pleine gloire. Autant, en effet, la pensée psychanalytique s’offrait comme la voie royale pour donner à la question de la différence des sexes et des identités sexuées la place qu’elle mérite, autant il fallait savoir la traverser pour échapper au carcan des préjugés d’un autre âge que sa portée révolutionnaire ne l’avait pas empêché de reconduire. Lacan poussait à cet égard la contradiction à son paroxysme. Génial réactivateur d’une percée freudienne en train de s’enliser, il en faisait aussi ressortir les limites au travers de sa formalisation de l’ordre paternel et du primat phallique. Antoinette a su à la fois prendre ce qu’il y avait de fécond dans cette matrice intellectuelle et se dégager de la prison historique où elle restait enfermée.

De l’indépendance d’esprit, il en a fallu bien plus encore, le mouvement des femmes une fois émergé, pour résister à la logique implacable de l’idée d’égalité. Une idée juste, une idée d’apparence simple, une idée infiniment difficile à manier, en réalité, et nulle part davantage que sur ce terrain de la différence des sexes. Les hommes et les femmes sont égaux ; ils ont à être également libres sur tous les plans ; la cause est entendue et nous ne nous en réjouirons jamais assez. Maintenant, la difficulté commence, une difficulté à laquelle nul n’avait songé, ne pouvait avoir songé. S’ensuit-il de cette égalité que la différence des sexes qui les marque n’est qu’une propriété secondaire, marginale et indifférente, comme la logique de l’idée tendrait spontanément à le faire croire ? La plupart l’a cru et le croit, non sans malaise. Les plus militantes s’en sont fait un principe et une arme. C’est cette neutralisation qu’Antoinette a refusée. Elle y a tôt identifié le péril d’une libéralisation débouchant sur une méconnaissance. La revendication égalitaire ne doit pas empêcher de penser la consistance des sexes et, en particulier, la spécificité du féminin, une spécificité qui gravite autour de sa puissance procréatrice. C’est justement ce que doit apporter une culture de la libération des sexes, faisant toute sa place à la production de vivant, par rapport à la vieille culture androcentrique, reposant sur l’élision de la dimension sexuelle.

Élisabeth Roudinesco 

Elisabeth-Roudinesco-hommage-minHistorienne de la psychanalyse

Je n’ai fait partie ni du mouvement féministe ni des groupes féministes à cause de mon histoire : dans ma famille, les femmes avaient déjà acquis un statut d’égalité avec
les hommes. Ma mère était médecin des hôpitaux et ma tante, Louise Weiss, était une célèbre suffragette. En conséquence, je n’avais pas besoin de m’intégrer à un quelconque mouvement de libération des femmes. Néanmoins, depuis 1977, j’ai eu une relation très personnelle avec Antoinette, une relation d’amitié qui ne passait pas forcément par un accord sur tout: j’admirais beaucoup Simone de Beauvoir qu’elle critiquait.
Mais nous avions beaucoup de choses en commun. Elle a toujours défendu envers et contre tout Freud, la psychanalyse et Jacques Derrida. Elle appartenait à la génération structuraliste qui était la mienne. Et nous avions des amis proches, Serge Leclaire, notamment. Nous avons participé ensemble à beaucoup de choses. Je me souviens tout d’abord d’une interview, dans Des femmes en mouvements, au retour du grand Symposium sur l’inconscient organisé par Léon Chertok à Tbilissi.

Jean Joseph Goux

goux-jean-joseph-antoinette-fouque-hommagePhilosophe

En essayant de parler de la disparition d’Antoinette, en un de sa mort, il m’est venu rapidement à l’esprit que, dans les écrits de cette femme si exceptionnelle, il est difficile de trouver une place pour la mort. Antoinette n’a cessé de proclamer que les femmes sont « donneuses de vie », des donneuses de vie humaine. Elle s’est voulue aussi sur de multiples plans, par le nombre de ses projets, de ses activités, de ses réalisations, une donneuse de vie, et elle a lutté avant tout contre l’effacement, dans notre société, de cette capacité génésique et créatrice des femmes. Effacement insidieux, autant technologique que philosophique, économique et symbolique. C’est aussi bien l’ignorance ou déni très ancien du génie des femmes qu’aujourd’hui réalise le mythe technique, futuriste, la science-fiction d’un utérus artificiel, une perspective qui l’irritait au plus haut point. Et on le sait, elle a reproché vivement aux divers féminismes qui ont précédé son action de proroger l’effacement de cette capacité génésique, génitale et géniale des femmes, au lieu de la promouvoir d’une façon centrale et nouvelle.

« L’éthique est du côté de donner la vie », dit-elle dans l’un de ses entretiens où la parole vive donne à ses idées un style charnel, une voix, une musique, où l’on peut entendre ce qu’elle a été vraiment. C’est à partir de ce «donner la vie » qu’Antoinette a repensé les valeurs fondamentales de l’humain, et qu’elle a retrouvé dans la chair, ce qu’elle fabrique et ce qu’elle transmet, une sorte d’infini. C’est en cela qu’il nous semble, à relire son œuvre et à repenser à ses paroles, que la mort lui était étrangère, même si sa condition physique ne pouvait lui laisser ignorer, tous les jours, l’emprise terrible et le côté menaçant de la condition charnelle de l’être humain.

Mais elle vivait dans une éthique de l’affirmation. C’était une femme de projets. Pas une conversation avec elle qui ne contienne un ou de multiples projets. Elle était tournée vers la réalisation d’entreprises toujours nouvelles, au service d’une même cause. Elle était un exemple vivant que la création, la gestation, l’enfantement, est la plus belle métaphore pour désigner la force d’innovation, de transformation, de production du nouveau, qui est en chacun de nous, femme ou homme.

Rosiska Darcy de Oliveira

Rosiska-Darcy-de-Oliveira-hommage-minÉcrivaine, membre de l’Académie brésilienne des lettres

1992 a été le moment d’une prise de conscience fondamentale : nous n’étions pas en train de vivre une crise de société mais une crise de civilisation. La Conférence des Nations unies de Rio sur l’environnement avait lieu cette année-là, et nous avions formé une coalition d’associations de femmes brésiliennes pour organiser, au sein de la Conférence, un forum Planeta femea (en français, « Planète femmes »). En tant que présidente de cette coalition, j’ai invité Antoinette Fouque, parce que j’étais persuadée que sa présence allait vraiment faire une grande différence. Je ne me suis pas trompée : elle a été très inspiratrice pour nous toutes, pas seulement les Brésiliennes dont je faisais partie, mais aussi les femmes du monde entier réunies au Forum des ONG. Nous avons franchi alors une étape : il ne s’agissait plus seulement de défendre les droits des femmes, ce que toutes nous faisions et faisons encore, mais de comprendre – elle n’a cessé de nous le répéter – qu’il y a deux sexes. C’était là un changement de point de vue sur le monde et sur toute la problématique que nous étions en train de traiter, qui a été décisif.
J’étais moi-même très passionnée par cette idée qu’elle a développée à Rio : « Le premier environnement de l’être humain est le corps d’une femme. » La prise de conscience de cette expérience inaugurale, au moment où l’on parlait d’environnement, donnait aux femmes présentes un sentiment, d’une part, d’importance, et d’autre part, de responsabilité, qui rendait plus essentielle encore notre participation à cette Conférence. (…)
Toute la trajectoire que nous avons faite ensemble n’a fait que confirmer pour moi cette impression initiale que j’avais eue en la rencontrant : Antoinette Fouque était quelqu’un d’extraordinaire, avec une pensée absolument révolu- tionnaire qui allait avoir une importance pour le siècle que nous étions en train de vivre, et plus encore pour le XXIe qui, comme on aimait à le dire, a commencé à Pékin. Cette participation commune à tout l’agenda social de l’ONU nous a beaucoup unies et a non seulement alimenté mon admiration pour elle, mais aussi mon amitié.

Taslima Nasreen :

Taslima-Nasreen-Hommage-minÉcrivaine

Antoinette Fouque a été la première féministe française que j’ai rencontrée lorsque je suis arrivée en France. C’est elle qui a publié mon premier livre en fran- çais. C’est elle qui a envoyé ses avocats dans mon pays pour m’aider à en sortir, alors que je vivais dans la clandestinité, menacée par le procès pour blasphème intenté contre moi par le gouvernement de mon pays. Lorsque je me suis rendue en France pour la deuxième fois, Antoinette Fouque m’a présentée au président François Mitterrand. Lorsque je vivais en exil en Suède, elle est venue me voir à Stockholm, juste pour m’apporter son réconfort.
Tant de bons souvenirs me reviennent à l’esprit aujourd’hui. Je n’arrive pas à croire qu’Antoinette n’est plus. Je n’arrive pas à croire que la prochaine fois que je viendrai à Paris et que je me rendrai aux éditions des femmes pour y rencontrer Michèle et Sylvina, je ne pourrai pas leur demander « Comment va Antoinette ? » et qu’elles ne pourront pas me répondre « Antoinette va bien ».
J’ai entendu beaucoup de critiques à son encontre mais, en réalité, je n’y ai jamais cru et je n’ai jamais envisagé de la quitter. J’ai toujours considéré que c’était une personne extraordinaire. Elle m’a toujours apporté sa solidarité : la plupart des gens pensent à moi quand tout va bien pour moi et m’oublient quand ça va mal ; mais Antoinette, elle, ne m’oubliait pas quand ça allait mal.

Quoi qu’il advienne, jamais je n’oublierai la bonté d’Antoinette, ni sa grandeur.

Catharine MacKinnon :

Catharine MacKinnon - Antoinette Fouque Hommage-minAvocate, théoricienne féministe américaine

Antoinette Fouque était une guerrière vaillante et visionnaire pour les femmes, dont la créativité et la productivité n’ont pas été dépassées au cour de notre temps. Chaque jour qu’elle vivait était un cadeau à l’avenir de l’égalité des sexes.

Antoinette Fouque

Antoinette Fouque

Co-fondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF)